Oui, je sais, le Cercle parisien ne s'écrit pas du tout comme un Galion, même si beaucoup de gens le prononcent mal. Mais j'ai toujours fantasmé sur les vaisseaux corsaires alors vous me pardonnerez ces splendides trois-mâts. D'ailleurs,Cercle Gaillon il y a plein de jolis canons dans le personnel et quelques gros focs dans les clients, alors on n'est pas trop hors-sujet...
Donc j'ai dealé pendant le tournoi des Etoiles. J'ai eu le plaisir d'y retrouver une équipe de croupiers très sympas, de bons floors, un cadre agréable, et un bon niveau sur le tournoi. Moins de plaisir à retrouver les cagoulés du cash game (débordant parfois sur le tournoi), mais si tout n'était que joie et volupté dans le monde du poker je n'aurai plus rien à vous raconter pas vrai ?
Voici donc en vrac ce que je retiens de ces deux semaines :
Mais quelle méchanceté !
Les joueurs qui m'en veulent de ne pas leur donner de cartes (enfin, pas les bonnes) je connais ! Tiens, j'ai même revu 1 ou 2 membres de ma catégorie préférée : les joueurs qui jouent mal et se plaignent de perdre par ma faute ! Genre je mise mal et l'autre touche... Et j'engueule le croupier ! Un grand classique...
Mais là j'ai eu droit à une première : le joueur qui ne se contente pas de me traiter de noiraud ou de m'insulter ou de me jeter les cartes dessus. Je ne parlerai même pas de celui qui a laissé entendre qu'une maladie grave ou un avion sur la gueule serait une punition proportionnée pour mon crime haïssable : ne pas lui faire gagner ses flash pré-flop ou ses tirages. Non, j'en ai trouvé un qui a fait mieux.
Ca fait 3 jours qu'il se plaint des mains que je lui donne, peuchère ! Et je lui distribue celle qui le fait sortir du tournoi : une belle main qui touche (brelan de dames ? je ne sais plus, dans tous les cas c'était sympa mais pas max) mais qui a déjà perdu au moment où le coup part à tapis.
Et le joueur se lève, normal, furax, ça peut se comprendre, mais me regarde avec toute la haine du monde et répète 3 fois, comme pour prendre les Dieux à témoin : "Mais quelle méchanceté !!" d'une voix mauvaise.
Sur le coup je ne lui ai pas répondu, pour ne pas envenimer la chose, pour ne pas retarder la partie pour les autres joueurs, et pour ne pas compromettre mes prochains contrats dans un lieu où je compte retravailler. Je me suis contenté de laisser la stupidité de ses propos glisser sur la surface de mon indifférence, aussi imperméable que les cartes Kem que j'avais en main.
Mais je m'accorde ici un petit droit de réponse que je crois bien mérité, et qui illustrera une fois de plus ma pensée sur le sujet...
"Monsieur le Joueur,
Oui, vous avez raison ! Je suis méchant. Très méchant, même !!
De quel droit vous ai-je donné de mauvaises cartes tant de fois d'affilée ?
Pire, comment ai-je pu oser ne vous donner enfin de belles cartes que pour mieux provoquer l'inévitable accident ?!
Il va de soi que je choisis les cartes que je donne et à qui. Je ne prétendrai pas manipuler les cartes, ça pourrait me coûter mon job et tout le monde sait que je suis nul en tours de magie. Mais par contre je peux complètement assumer ma parfaite maîtrise des arts occultes. Oui, les démons familiers qui me servent donnent à mes innocentes victimes les cartes qui les conduiront aux pires catastrophes, tandis que ceux qui me livrent leurs âmes sont assurés d'aller en finale. Tiens, je suis con, je devrais leur demander un pourcentage sur les gains, le cours des âmes a vachement baissé sur les bourses infernales ces temps-ci. Eh oui mon bon diable, la crise c'est partout pareil. Enfin bref...
Donc je suis méchant. Désolé. Enfin non, sinon je serais un peu gentil sur les bords.
Mais vous savez ce qui est vraiment cruel de ma part ?
C'est de choisir pour cible de ma méchanceté toute volontaire, préméditée, calculée et on ne peut plus contrôlée un joueur aussi sympathique que vous. Parce que tant qu'à infliger des bad beats à répétition à quelqu'un j'aurai pu choisir un joueur antipathique, désagréable, peu avenant, arrogant, ou empreint d'autres qualités tout aussi attachantes.
Au lieu de cela je vous ai choisi vous, qui m'avez encore démontré votre gentillesse au moment de quitter la table.
Mais quelle méchanceté !!
A bon entendeur..."
Matternité et Rémyssion
Dans un tout autre registre, j'ai eu enfin l'occasion de dealer pour la première fois deux excellent joueurs pros : Rémy Biéchel et Arnaud Mattern. Tous deux m'ont impressionné chacun à sa façon.
Bien sûr quand on sait qu'on a un joueur pro à la table on va déjà le regarder d'un autre oeil, mais bon des gros joueurs je commence à en avoir vu un paquet, alors croyez-moi quand je vous dis que ces deux-là sont de la trempe des grands. Enfin, vous le saviez déjà non ?
De Rémy je ne soulignerai que l'attitude : positive, aimable, sans grosse tête et avec une vision sur le long terme assez étonnante. On sait dorénavant qu'en cash il convient souvent de payer "pour voir", pour obtenir une info utile sur un joueur régulier. Mais je l'ai rarement vu faire en tournoi, et c'est ce qu'a fait Rémy au prix de sa sortie sur le premier tournoi (le 1*), mettant son ego dans sa poche, sachant que c'est peut-être l'info ainsi obtenue qui fera la différence la prochaine fois qu'il croisera cette joueuse habituée des circuits... Pas mal.
Quant à Arnaud je ne dévoilerai pas son jeu, même si l'on peut amplement l'observer dans les médias. Qu'il suffise de dire qu'il devient très vite le Capitaine de la table (normal, au Gaillon...), et qu'il maîtrise parfaitement les techniques du Small Ball. Tiens, ça me rappelle que dès que j'ai le temps faudra que je lise le Poker Power de Daniel Negreanu, et paf une petite pub pour mon éditeur préféré !!
Que de la bouche...
Aux tables de poker il y a toujours des joueurs qui l'ouvrent pour ne rien dire. Mais là, les réflexions erronées abondaient (y compris sur moi : les croupiers du Gaillon - et de l'ACF - dealant au sabot il me demanda si j'étais débutant pour dealer "comme ça" c'est-à-dire à l'américaine, ce à quoi un autre joueur rétorqua "ça se voit qu'il n'est pas débutant", merci pour mon ego monsieur !). Mais le fin du fin fut atteint lors d'un coup qu'il commenta sans être dedans (ce qui en prime est une faute) : après un flop permettant toutes sortes de tirages arrive un 6 sur la River. Voyant les joueurs sur de grosses cartes au vu des relances pré-flop, notre habile commentateur s'exclama "un 6 qui ne change rien" ! Et bien sûr nous nous sommes tous retenus de rire lorsqu'à la fin du coup un joueur dévoila ses cartes en s'écriant : "Un 6 qui ne change rien hein ? J'ai la quinte !"
Comme quoi, des fois, le mieux est encore de fermer sa gueule...
Qui a dit que les joueurs de poker n'étaient pas fins et subtils ? En témoigne une phrase hurlée par un joueur - notoirement discret - pendant le tournoi, et que je vous retranscris ici :
"Tu sais qui je suis ? Tu sais d'où je viens ? Je suis né avec un As de pique dans le cul !"
C'est fin, c'est fin, on en mange sans fin... Et ça c'était au Gaillon, imaginez à Frochot !!
Enfin ce bel échange viril entre joueurs ; joueur A veut savoir si joueur B a une meilleure main que lui. Ca donne :
"- Vous êtes beau ?
- Oui, je me trouve pas mal...
- Mais sinon, votre main ?
- Faut payer pour voir."
Moi je trouve qu'assumer ainsi son ambivalence sexuelle à une table de poker c'est, pardonnez-moi l'expression, couillu. Bravo messieurs !
Aller, à très bientôt pour de nouvelles histoires !!